Avant propos

Vivre biodynamique: danser la vie


Sans se limiter à une activité de loisir liée à un moyen d’expression et de libération corporelle ou à une simple parenthèse récréative, la danse biodynamique est avant tout une manière d’être et de vivre propulsée par le mouvement de vie qui en devient le principal moteur.

Directement inspirée des théories reichiennes démontrant la correspondance entre le refoulé psychique et le corps réprimé, la danse biodynamique permet non seulement de régénérer et de désintoxiquer le corps au sein même de la cellule, de son noyau (cf. mouvement orgonomique1, mouvement régénérateur) pour stimuler la pulsation originelle génératrice du mouvement de vie, mais elle aide aussi à réparer les carences dans la structure du corps par une approche organique basée sur les différentes phases de l’ontogenèse (cf. mouvement fœtal, de naissance, de l’évolution des espèces…). De plus, tout en restructurant un moi suffisamment fort et contenant pour passer à l’étape de l’expression personnelle, elle amorce un processus puissant qui permettra progressivement à la personne de retrouver l’intégrité de sa «personnalité primaire2» garante de l’unité de son être.

Si, en éveillant la conscience du corps, la danse nous aide à nous libérer de nos vieux schémas névrotiques dont les fonctionnements nous enfermaient dans l’aliénation d’un passé tyrannique, grâce à une reliance corps-cœur-esprit, intérieur-extérieur, elle nous replace d’emblée dans la transparence de l’ici et maintenant de notre réalité fondamentale.

Lorsque la mécanique corporelle a bien été réparée et réajustée, le plus important dans l’apprentissage de la danse biodynamique est l’intégration de la maîtrise du centre et des appuis. Une fois cela acquis, il n’y a qu’à donner une impulsion et le mouvement se fait sans effort; cela explique l’accès facile de cette danse aux néophytes et aux personnes qui pourraient croire avoir dépassé l’âge de danser, dans la mesure où il ne s’agit pas à la base de technique, mais d’une prise de conscience du déplacement naturel du corps dans l’espace quand il a retrouvé «l’adaptabilité» et la fluidité psychomotrices du félin. Cela n’exclut en rien les danseurs plus techniciens car le mouvement biodynamique leur permet «d’épargner» muscles et articulations, et leur offre un lâcher-prise qui peut donner plus d’authenticité et de «moelleux» à leur danse.

Quel bonheur de voir évoluer les élèves au-delà de la forme et du jugement, quels que soient leur âge et leur morphologie, dans un corps libéré de ses entraves! En évoluant avec souplesse et légèreté, dans le coulé du mouvement, les danseurs donnent une telle impression de facilité, de plaisir, qu’il est difficile de résister au désir de les rejoindre et de partager la danse avec eux. Sur la même musique, chacun s’exprime à sa guise, en fonction de son ressenti personnel, révélant ainsi à travers un génie et un style unique la richesse et l’originalité de son potentiel créateur.

Les artistes sont particulièrement sensibles à cette approche du mouvement et de la danse, ils trouvent là le ferment d’une nouvelle inspiration, abandonnant peu à peu la reproduction stérile de formes mentales ou plaquées.

A l’occasion d’une expo dans le jardin d’une amie, quel ne fut pas mon étonnement lorsque Monique-Éliane (au bout d’une année d’atelier de danse) m’a présenté ses tableaux d’orchidées en les déposant devant moi, côte à côte contre le mur de la terrasse! J’avais l’impression que ces fleurs bougeaient tant elles me semblaient vivantes. Sans parler d’Henriette dont les collages magnifiques sur des thèmes abstraits de vertiges d’azur et de vagues de feu suggéraient si bien les formes ondulatoires et spiralées du mouvement de vie… Et lorsque je regardais les sculptures de Francis à la lumière du soleil couchant, elles me donnaient l’impression de corps dansants aux galbes voluptueux et aux contours ondoyants

Mais là où la transformation est la plus manifeste, c’est peut-être lors des stages d’initiation au mouvement et à la danse biodynamique qui accueillent les débutants. Au bout d’une semaine, malgré l’intensité des journées, les stagiaires repartent comme s’ils venaient de faire une cure de jouvence. Même si cette transformation extérieure étonne et interpelle, elle ne saurait s’apparenter à l’effusion d’un enthousiasme juvénile qui s’éteindrait aussi vite qu’un feu de paille car la plupart du temps cette ferveur s’accompagne de prises de conscience et pousse la personne à des changements de vie plus en accord avec ses aspirations profondes. Dans cette perspective biodynamique, le corps dansant, redevenu avant tout un corps vivant, aurait-il retrouvé sa boussole intérieure capable de réveiller l’intelligence de l’instinct – toujours en phase avec la puissance de vie? A l’image d’un minuscule ruisseau destiné à rejoindre la mer, il rapproche toujours davantage la personne d’elle-même, de sa réalité fondamentale, tel un processus irréversible qui, en retissant le lien avec l’âme, guérirait le corps.

A ce propos, comment pourrais-je oublier le visage rayonnant d’Annie lors de la soutenance de son mémoire de fin de formation d’animatrice de danse?
Alors qu’on l’avait connue déprimée et affaiblie par sa chimio, tout en frappant du pied, elle s’est mise à clamer haut et fort: «Maintenant que je suis guérie, je veux vivre comme j’ai envie!»; Quant à Christelle que l’on sentait découragée et de plus en plus accablée par ses problèmes personnels, ce même jour, elle nous a véritablement enthousiasmés par la preuve de son incroyable détermination à vouloir s’en sortir et se réaliser par elle-même: ses deux années de formation lui ont permis de trouver la force de s’extirper de «l’enfer-mement» de la dépression et d’échapper à l’étouffoir mortifère de sa famille et de son environnement. Elle a quitté sa famille, a divorcé et, dans le même élan, a trouvé un travail pour devenir autonome et reconstruire sa vie.

Danièle, une ancienne élève, au seuil de la retraite, me confiait dernièrement combien la danse avait remis du sens dans sa vie alors que son couple battait de l’aile et que ses enfants commençaient à quitter la maison pour suivre leur propre chemin d’adulte. Tout en la ramenant aux choses importantes de l’existence: l’amitié, l’amour, la beauté de la nature, la créativité au quotidien… La danse lui a permis de se trouver, de quitter les faux semblants et d’arrêter de se mentir à elle-même pour mieux découvrir sa juste place (notamment dans l’animation de cours et d’atelier), afin de participer, en toute humilité, à l’éveil des consciences et de favoriser l’émergence d’un nouveau monde en quête d’être et non plus d’avoir.

Oui, celui qui danse la vie est dans cette empathie, dans cette reliance, dans cette résonnance avec les autres et avec le monde. Il est touché par l’arbre que l’on abat pour construire un nouveau parking, par le stress de l’animal de batterie que l’on manipule comme un vulgaire produit de consommation ou par l’hébétude et la désespérance de la vieille femme recluse dans un ghetto de fin de vie, tout
autant que par son pouvoir d’achat et ses petits problèmes personnels. Cette personne se sent concernée et responsable d’agir car elle ne saurait danser la vie autrement qu’à l’unisson du monde.

La véritable conscience n’est-elle pas là? Elle part d’une juste compréhension, elle touche au corps, aux tripes pour pousser à l’acte malgré soi.

Qui sont en fait mes élèves? Oh, simplement des femmes et des hommes en quête de vérité passant par l’évidence du corps. Bien sûr, il y a des «bio» ceci ou cela, des thérapeutes et des ostéopathes cherchant des méthodes de soins moins techniques et plus créatives, des artistes en herbe ou en fleur – et tous ceux qui le sont dans l’âme, du cadre supérieur à la femme de ménage… Il y a des jeunes et des moins jeunes – apparemment – et cependant lorsqu’ils dansent, on ne peut pas vraiment les différencier tant ils dansent avec cette même joie et cette même espérance qui les gardent dans une éternelle jeunesse…

Comme le dit l’Ange des Dialogues:

«Le vrai mouvement, c’est le regard qui rayonne,

Le vrai mouvement, c’est la main qui aide,

Il n’y a pas d’autre mouvement…»

En vérité, un porteur de vie peut ranimer des milliers de morts vivants, un porteur de lumière, délivrer des milliers d’esclaves de la peur et de la souffrance, un porteur d’espérance fissurer les bunkers d’acier et de béton armé de l’égoïsme, de l’indifférence et de l’avidité. Alors trouvons l’audace de réaliser nos rêves afin de mieux convaincre ceux qui sont encore nos adversaires, pour leur donner l’envie d’y croire car désormais le but n’est plus de tuer Goliath mais de l’entraîner avec nous dans la Spirale de Vie.

Dans ce livre, je développe les différents aspects de l’évolution du mouvement et de la danse biodynamique (thérapie, animation, formation, création, éveil à une conscience spirituelle du corps) par le récit des expériences et des rencontres importantes qui ont orienté mon parcours.

Je n’ai pas cherché seulement à créer une nouvelle méthode de danse ou une nouvelle technique de thérapie corporelle, aussi efficace soit-elle: au fond, ma véritable démarche a toujours été de retrouver les lois fondamentales du corps en mouvement susceptibles de nous permettre d’intégrer toutes les dimensions de notre être à travers une vérité concrète et universelle.